Les premières dynasties (939-1428)
Profitant de la chute des Tang (907), les Vietnamiens, dirigés par Ngô Quyên, rejettent la domination chinoise (939) et créent, sous la dynastie des Ngô (939-968), un État annamite qui englobe le Tonkin, le Thanh Hoa, le Nghê An et le Ha Tinh. En 968, Dinh Bô Linh, fondateur de la dynastie des Dinh (968-980), en fait le royaume du Dai Cô Viêt, à la fois indépendant et vassal de la Chine. Dès lors, et sous les dynasties successives des Lê antérieurs (980-1009) et surtout des Ly (1010-1225), l'État vietnamien assoit ses institutions : Thang Long (sur le site actuel de Hanoi) devient la capitale (1010) ; le royaume est divisé en vingt-quatre provinces, gouvernées par des princes du sang et administrées par des lettrés, dont la multiplication est favorisée par la généralisation de l'instruction ; la mise en place d'un important réseau routier et la création d'un système fiscal général (1013) permettent d'entretenir une puissante armée de paysans animée d'un profond esprit national, qui entame une lente progression vers le sud ; celle-ci, de delta en delta, mènera les Annamites jusqu'en Cochinchine. Dès 1070, le Quang Binh et le nord du Quang Tri sont réoccupés, tandis que l'invasion chinoise des Song est repoussée (1077) et que la paix intérieure est rétablie, ce qui permet de reprendre la mise en valeur économique du Delta (constructions de digues pour retenir les crues du fleuve Rouge, 1108). La dynastie des Trân (1225-1413) repousse les invasions des Mongols (1257, 1285 et 1287), dont elle reconnaît pourtant la suzeraineté (1258 et 1288) ; parallèlement, elle accentue la progression vietnamienne, occupant en 1306 le sud du Quang Tri et le Thua Thien (région de Huê). Mais la multiplicité des conflits affaiblit la dynastie, favorise, au XIVe s., l'émancipation des paysans, l'appropriation des terres par les mandarins et, par contrecoup, les révoltes paysannes et les coups d'État, dont l'un aboutit à la prise du pouvoir par Hô Qui Ly (1400), qui ordonne aussitôt une réforme agraire. À la faveur de ces troubles, les Chinois occupent le Dai Viêt (1406-1407), éliminent le dernier prétendant Trân (1413) et reprennent la sinisation du pays.
L'apogée des Lê postérieurs (1428-1527)
L'indépendance est reconquise par un paysan vietnamien, Lê Loi, qui chasse les Chinois (1428) et fonde la dynastie des Lê postérieurs (1428-1527 et 1533-1789). S'appuyant sur les masses paysannes qui ont résisté aux Chinois, et auxquelles Lê Loi a redistribué les terres des propriétaires qui ont collaboré avec les Chinois, la nouvelle dynastie atteint son apogée sous Lê Thanh Tông (1460-1497), qui donne au pays son organisation définitive (adoption du Code de lois Hôngduc), accélère la mise en valeur du centre et du sud du Viêt Nam (colonies militaires ou dôn diên), dont il repousse la frontière méridionale jusqu'au cap Varella, après une victoire décisive sur le Champa (1471), tandis qu'il impose sa suzeraineté aux royaumes Lao du Mékong.
Les usurpateurs : des Mac (1527-1592) aux Nguyên et aux Trinh (1592-1789)
Mais l'incompétence des successeurs de Lê Thanh Tông entraîne l'usurpation des Mac (1527-1592) combattue par la dynastie des Lê, soutenue par Nguyên Kim et Nguyên Hoang et par le gendre de ce dernier, Trinh Kiêm. En 1592, les Trinh, qui occupent le pays entre la Chine et le Ha Tinh, chassent les Mac, qui se maintiendront jusqu'en 1677 à Cao Bang, et restaurent les Lê, mais entrent en conflit avec les Nguyên établis au sud de la porte d'Annam. Ces derniers, compensant leur infériorité numérique par un armement plus puissant fourni par les Portugais, qui ont établi un comptoir à Fai Fo (aujourd'hui Hôi An) dès 1535, reprennent à leur compte la marche vers le sud. Ils occupent successivement le Phu Yên (1611), le Thanh Hoa (1653), le Binh Thuan (1693), Saigon (1698) et la région de Chau Doc (1724), atteignant ainsi le delta du Mékong et entrant en contact avec les Khmers, qu'ils écartent de la région du golfe de Siam. Parallèlement, les Trinh, seigneurs du Nord, qui ont mis en tutelle les rois Lê, occupent le territoire entre le fleuve Rouge et le Mékong. La fiscalité accrue, les interventions de l'administration Trinh dans la vie privée des paysans et des commerçants, désireux de pouvoir négocier librement avec les marchands européens qui s'établissent à Hung Yên et à Hanoi (Hollandais entre 1637 et 1700 ; Anglais de 1672 à 1697), favorisent des révoltes agraires, dont la plus importante est celle de 1737-1750.
C'est pourtant dans le Sud qu'éclate une révolte populaire décisive, celle des trois frères Tây Son (1773), qui, favorisés par la corruption des Nguyên, établissent leur base de départ à Qui Nhon. Soutenus par les Trinh, qui occupent Huê (1775), ils s'emparent eux-mêmes de Saigon (1776), puis de l'Annam, et se retournent contre les Trinh du Tonkin (prise de Hanoi, 1786), qui appellent en vain les Chinois au secours des rois Lê, définitivement éliminés en 1789. Les trois frères Tây Son se partagent alors le Dai Viêt, l'aîné devenant souverain de l'Annam, le deuxième s'attribuant la Cochinchine, et le troisième le Tonkin. Mais, faute d'avoir promulgué une réforme agraire en faveur des paysans qui les ont portés au pouvoir, les Tây Son seront facilement éliminés par un héritier de la famille des Nguyên, Nguyên Anh, qui va recevoir l'appui inespéré de forces occidentales grâce à un Français, Mgr Pigneau de Béhaine, qui débarque à Ha Tiên comme vicaire apostolique de la Cochinchine en 1774. Depuis près de deux siècles, en effet, l'Église et la France s'intéressent au Dai Viêt, dont l'évangélisation, entreprise par les Portugais, a été reprise par des Français de la Société de Jésus, tel Alexandre de Rhodes, qui, avant d'être expulsé en 1646, a eu le temps de romaniser l'écriture vietnamienne en mettant au point le quôc-ngu (langue nationale), ou par des membres de la Société des missions étrangères. Derrière les missionnaires arrivent les marchands, mais les efforts des uns et des autres échouent, car le catholicisme, jugé dangereux pour la société traditionnelle, est désormais persécuté.
L'élimination des Tây Son (1789-1802)
La situation politique est renversée par l'appel que Nguyên Anh et ses conseillers lancent à la France. Mgr Pigneau de Béhaine obtient du gouvernement royal la promesse d'une intervention militaire (traité de Versailles, 1787), à laquelle les autorités officielles renoncent très vite. Mgr Pigneau de Béhaine reprend alors l'expédition pour son compte personnel, recrute de nombreux volontaires parmi les officiers et les techniciens français d'Extrême-Orient. Disposant dès lors de moyens militaires importants, Nguyên Anh occupe la Cochinchine (1788), fait construire les forteresses de Saigon et de Nha Trang, détruit la flotte des Tây Son (1792), occupe Huê (1801), Hanoi (1802), devenant l'empereur Gia Long (1802-1820), restaurateur de la dynastie des Nguyên, et premier souverain vietnamien à régner sur toute la côte, de la frontière chinoise au golfe de Siam.